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TH: DRÔLE PENSEUR

VINZY

Grand bondyisme, ironie et avant-gardisme: TH mérite quelques mots.


Quelques semaines en arrière, je décide de trahir mon fauteil pour une vadrouille nocturne. Direction le magnifique studio des amis Pandrezz, j'san et Epektase; moins magnifique pour ses plafonds et son agencement que pour l'énergie qui y circule. Il faut savoir qu'il y a quelques têtes, relativement rares, avec qui je prends un plaisir infini à fouiller le Youtube du rap français. Epektase en fait partie, et nous nous retrouvons lui, Ronare et moi devant leurs grands écrans et leurs grands verres de whisky. À se rappeler de sombres archives du 13 Block et à se faire découvrir des pépites. De fil en aiguille, Epektase m'explique que je dois absolument écouter un rappeur de Bondy, qu'il a du mal à me résumer en quelques phrases. Le mec s'appelle TH, l'ami Epek lance YOSHIMURA. Et là: la révélation.


J'aime tout ce qu'il se passe sous mes yeux. L'ironie qui suinte du phrasé et des phases, l'énergie "+25" du type, qui plait au fan de Stavo que je suis, l'apparition d'une princesse qui se met à couper TH pour rapper un texte écrit par TH (ce "J'me fais sucer pendant que j'suis au volant" laissant peu de doute), la rareté des rimes qui perturbe mon oreille, ce flow que les casse-couilles conspueraient à coup de "Mais il est pas dans les temps!!!" De là, on enchaine avec 47 AK, puis je rentre chez moi grisé, du TH dans les oreilles de bout en bout.


Au fil des semaines, je continue de l'écouter, je découvre son oeuvre plus en profondeur. Je m'extasie sur AUDI RS, morceau qui me confirme que c'est lui le rappeur de la calle d'Île de France dont je vais parler à toute la terre en 2023. Et c'est une bonne idée, puisque j'ai rarement autant fait de stats sur un tweet de partage d'un artiste en développement. Avant que je ne découvre ses anciennes sorties, plus conventionnelles et mélancoliques, mais dont les fulgurances dans l'écriture et l'esprit me convainquent. Comme Passage ("J'commets un pêché, ensuite je le tatoue sur mon dos. Parce que Trevor c'est une histoire, mais THC c'est un fardeau"). Ou Semi Auto, morceau sur sa jeunesse et ce qui l'a poussé à prendre le mauvais chemin à l'adolescence, à commencer par l'envie irrépréssible de liberté ("On s'en fout de ton permis moto, tant qu'on fait de la moto. Sans le casque, à la tess, avec les potos").


Un jour de mai, je suis à mon bureau, KSA est dans les parages. Sachant TH proche de JayJay et d'Alpha Wann, je ne résiste pas à la curiosité de lui en demander plus sur l'artiste. Avec enthousiasme, il m'explique dans les grandes lignes que le gars a l'énergie d'un Kaaris pré-Or noir, mais qu'il se la donne à tout un tas de rappeurs US avant-gardistes. Il aurait été RP et aurait cherché à me le vendre, il n'aurait pas fait mieux. Je réalise sur Twitter que TH est un gars que Joz pousse à prendre le rap plus au sérieux depuis des années. J'entends HoussBad le citer sur son EP. Tout ça m'amène à comprendre qu'il n'est vraiment pas un rookie sorti de nulle part, juste un rappeur très talentueux que beaucoup d'oreilles aiguisées attendent.


Je rejoins donc le train. La taille réduite de son catalogue actuel aidant: j'adore les promesses, je ne demande donc qu'à imaginer les résultats. Que ce soit sur un format EP pour débuter, voire sur une mixtape. Parce que beaucoup de choses me plaisent chez TH.


Déjà, dans sa manière d'écrire, il y a quelque chose de Stavo (qui apparait dans l'un de ses clips) : cette écriture construite sans qu'on n'en comprenne toujours l'architecture, l'affranchissement vis-à-vis certains codes, le fait de faire rimer un mot avec lui-même (technique qui n'est toutefois pas propre à Stavo, évidemment). Quand TH dit "J'aime celles qui ne font pas de cinéma, quand tu les amènes voir un film au cinéma", je m'amuse. Les phases n'ont parfois aucun liant entre elles, certains constats sont si gratuits, à l'opposé de la recherche de la punchline, qu'ils surprennent. Comme des pensées ou constats random inhabituels dans des textes, qui viendraient s'y incruster ("Quand j'accélère chelou, l'aiguille va dans l'autre sens"). Dans l'ensemble, l'écriture de TH est très très parlée, à l'opposé des rappeurs qui forcent pour chercher la punchline. Ce qui se retrouve même dans ses phases aggressives, très présentes. Comme ce moment où il enchaine trois mesures en "oudre/outre", avant de gratuitement envoyer "Quand j'vois ta gueule à toi, j'ai que envie de t'abattre", sans que ça ne rime avec quoique ce soit. Une certaine liberté prise avec les schémas de construction des couplets de rap français, donc. Puis: TH est très marrant. Que ce soit dans les phases, ou la manière de les prononcer, on ne s'ennuie pas. "J'crains Dieu, j'crains pas les guillis, j'pisse où j'veux comme un Bully". "Quand j'bicrave, j'le fais avec passion". Marrant aussi dans ses egotrips provoquants bêtes et méchants ("Il fait le gros mec, ça s'voit il est battu, il a même pas assez pour acheter un Audi"). Il renvoie la même impression que les types qui sont toujours prêts à sortir une dinguerie à un autre le sourire aux lèvres, dans la vraie vie, l'air de dire "Et tu vas faire quoi?"


Au-delà de cette écriture, il faut mentionner la voix prenante de TH et le charisme qui se dégage de son interprétation et de ses visuels. Puis évidemment, le travail sur les prods. Il semble très bien s'entendre avec JayJay notamment. Et à l'écoute de Audi RS et de la finesse du travail du beatmaker, on peut s'attendre à beaucoup de merveilles. Titre sur lequel TH a d'ailleurs l'occasion de montrer quelles idées brillantes il peut sortir de sa botte, la première minute du morceau étant si réjouissante dans l'idée et dans son exécution.


Mais, l'autre facette de TH qui m'intéresse, c'est sa capacité à écrire des morceaux plus sérieux. J'évoquais Passage et Semi Auto, parce que l'intelligence qui se dégage de ses egotrips se retrouve dans ces morceaux moins souriants. Et le tout semble cohérent. Ce qui se dégage chez TH, c'est une recherche infinie de liberté, depuis l'adolescence, qui semble expliquer son attrait inarrêté pour l'illicite. Et si les rappeurs hustlers incarnent un fantasme social, qu'il existe chez eux un truc à part qui fait rêver les auditeur(rice)s aux vies rangées, c'est peut-être le renoncement au renoncement. Refuser de mesurer ses rêves, refuser de se plier aux normes, refuser de mener une vie financièrement raisonnable, à l'étroit entre les normes. Et donc, renoncer aux avantages d'une vie rangée. En tout cas, ça transpire de la légende de bien des grands noms du rap, à commencer par Booba dans nos contrées. Bon, ces dernières lignes me donnent des allures de journaliste rap qui sort d'école et qui en fait trop, mais vous avez compris l'idée.


Bref: en 2023 et 2024, je serai très attentif à tout ce que sortira TH. Il peut apporter à mon sens un truc en plus dans le rap de rue, de l'innovation, participer à renouveler les codes. Comme 1PLIKÉ140, Stavo ou Kerchak ces dernières années, chacun à leur manière. Comme peut-être H La Drogue, La Rvfleuze ou 3arbi demain. Parce que pour le bien du rap français, c'est essentiel que le rap hardcore ne tourne pas en rond.

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