Comme tout utilisateur de Twitter, j'ai des cibles préférées sur ce réseau. Parmi elles et eux, il y en a qui se cachent sournoisement avant d'apparaître à l'occasion de débats spontanés. Ce sont les auditeur(rice)s de rap, passionné(e)s en apparence, qui cherchent à nous expliquer fièrement que oui, on peut n'écouter que du rap. Laissez-moi vous donner tord.
Avant toute chose, je précise que ce post n'a pas pour vocation de servir de manifeste à fièrement brandir pour celles et ceux qui veulent à tout prix prouver qu'ils/elles n'écoutent pas que du rap, qui crient partout qu'ils sont accro à Blonde de Frank Ocean pour se donner une fausse profondeur. Veuillez déposer dans le panier sur votre gauche vos egos mal placés avant d'entrer dans cette pièce, je vous en remercie.
Second disclaimer: laissez-moi préciser à qui je m'adresse. J'exclus les auditeur(rice)s passif(ve)s de musique, celles et ceux qui ne ressentent pas d'attrait extrême pour cet art. Art qui leur sert essentiellement à accompagner leurs ménages, leurs trajets vers le travail et leurs samedis soirs. Bref, les personnes qui apprécient écouter de la musique, sans que ce soit une passion. Le fameux "grand public". Elles et eux, ça me parait évident, font ce qu'ils veulent. Ces gens utilisent la musique dans un but utilitaire, je ne vois pas en quoi ils/elles n'auraient pas le droit.
Non, avec ces quelques paragraphes, je veux m'adresse aux passionné(e)s de musique, auto-proclamés. Ces gens qui ne peuvent passer une journée sans générer des dizaines de streams sur Spotify, Apple Music ou Deezer, qui conçoivent la musique comme faisant partie intégrante de leur vie, qui suivent l'actualité d'une multitude d'artistes, qui débattent de musique chaque jour, qui cherchent à toujours plus connaitre, comprendre. Bref, les passionné(e)s curieux(se). J'en fais partie, depuis l'enfance et surtout l'adolescence. En effet, dès le collège, j'ai été pris par la frénésie de la découverte, de l'émulation, de l'avis qui se forge, de la discussion et, surtout, du besoin d'assouvir ma soif. Comment? En découvrant plus, toujours plus. Plus de sources d'enthousiasme, plus de matière pour ma culture personnelle. Ce sur quoi je vais revenir, avant de me diriger vers le coeur du sujet.
Je ne viens pas d'une famille d'obsédés de musique, je n'ai pas eu d'éducation musicale poussée, à même de poser des bases écletiques dès mon enfance. J'ai un cerveau très sensible à la musique je pense, mais c'est par le rap que s'est matérialisée cette obsession. Adolescent, le rap prenait quatre-vingt-dix-neuf pour cent de la place dans mes écouteurs. J'étais passionné du genre, j'avais trop d'artistes à découvrir, trop d'univers, de manières de rapper, de courants de prods, de voyages dans le passé, d'aperçus du futur à explorer. Skyrock qui avait bercé mon enfance ne me suffisait plus. Quelques rares artistes hors du rap arrivaient à se faire une place dans le lecteur de mon Samsung. Renaud, le chouchou de ma mère, Michael Jackson, le chouchou de ma soeur aînée, quelques morceaux d'Amy Winehouse, des singles d'artistes américain(e)s que j'ai connu via leurs featurings rap. Mais ça s'arrêtait là: mon oreille peu habituée avait besoin d'être subjuguée par un morceau pour écouter autre chose que du rap. Puis, elle ne fouillait pas, donc se renforçait dans l'idée que seul le rap peut réellement l'envoûter régulièrement.
À l'époque, en commençant à confronter mes goûts sur internet ou dans la vraie vie, j'ai compris que c'était aussi mon devoir de découvrir plus. Pourquoi? Pour pouvoir parler de rap, tout simplement. Gagner en pertinence, quoi. Bon c'était souvent chiant, parce que quelques anciens en faisaient trop avec ça. Mais Dieu merci, j'ai compris grâce à eux que la zone de confort, c'est l'ange gauche du ou de la passionné(e) de musique.
Je vais sauter dans le temps et arriver à aujourd'hui, pour mieux expliquer ensuite comment j'en suis arrivé à trouver évident de fouiller ailleurs que dans le rap.
Je pense qu'aujourd'hui, je mentirais en disant que la majorité de mes plus grandes claques musicales sont venues du rap. Et pourtant, celui-ci reste le genre que j'écoute le plus. Si je réfléchis à mes plus grands émerveillements musicaux, qu'il s'agisse de morceaux ou d'albums, il y a évidemment du Jay-Z, Booba, SCH, Waka Flocka ou Kanye West. Mais Frank Ocean, Dalida, Sade, Warda, Mahalia Jackson ou Gesaffelstein (pardon pour cette énumération sans cohérence) ont su me procurer des émotions qui ne sont pas moins fortes. Dans la même logique, je ne peux pas dire quel album m'a le plus accompagné ces dix dernières années, entre good kid m.A.A.d city de Kendrick Lamar et Trilogy de The Weeknd. Et le plus grisant, c'est que je sais que je ne suis qu'au début de mon exploration, que ma vie entière m'offrira des découvertes à même de m'éblouir.
Ce que je cherche à montrer par là, c'est que: par mon exemple, je sais que l'on n'est pas condamnés à n'aimer que du rap, même quand c'est le rap qui a fait de nous des passionné(e)s. C'est un non-sens de penser l'inverse.
Parmi les fier(e)s auditeur(rice)s limité(e)s au rap, un argument m'est plusieurs fois parvenu aux oreilles. Aujourd'hui, le rap serait si ouvert qu'il rendrait peu utile d'aller chercher ailleurs. Pardon, mais c'est presque plus con que d'être bêtement fermé d'esprit. Ce n'est pas parce qu'il y a de l'electro dans le rap de Winnterzuko ou du rnb dans le rap de Tuerie que ça doit se faire dire "Boh, plus besoin d'aller écouter de l'electro ou du rnb, du coup". En fait, je trouve ça d'autant plus incompréhensible que les albums de rap ouverts sur d'autres genres sont des invitations. Personnellement, je suis rentré dans la soul grâce à Kanye West, dans la chanson française grâce à l'obsession des jolis textes que m'ont offert les grands rappeurs. D'ailleurs, à peu près tous les grand(e)s rappeur(se)s qui existent vous diront qu'ils/elles n'écoutent pas que du rap. Booba n'invite pas l'ex-Christine and the Queens que pour l'image. Juicy J était ravi d'apparaitre dans Trilogy (à l'époque où je découvre The Weeknd, ça m'avait rendu si heureux). Siboy ne cite pas Laurent Voulzy que pour être amusant. Un rappeur comme Kalash invite régulièrement des artistes de dancehall, de shatta ou de bouyon sur ses albums. Ce dernier étant d'ailleurs lui-même à la frontière entre rap et dancehall. Ninho, Damso ou SDM ont déjà invité Fally Ipupa en featuring. Bref, les illustrations de mon propos sont infinies.
C'est donc principalement grâce au rap (et à des ex ou ami(e)s à l'oreille très avertie) que j'ai pu trouver des portes d'accès au reste. On répète à l'envi et avec fierté que le rap est un genre-éponge capable d'ingérer le bon (et le moins bon) qui se fait ailleurs. Mais justement, les pistes sont là, n'attendent qu'à ce qu'on les suive.
Puis il y a d'autres manières de s'initier. Netflix nous offre à portée de main de très bons documentaires en HD sur des légendes de la musique qui n'ont jamais rappé ou produit de rap. Des livres passionnants sortent chaque année à propos de divers genres musicaux. Des proches seraient tout heureux de nous conseiller des artistes à écouter dans un genre qu'ils ou elles affectionnent. Les playlists sur les DSPs nous prémâchent le travail. Tous les genres musicaux sont rendus accessibles par des comptes Instagram ou Twitter d'amateur(rice)s.
S'agissant de celles et ceux qui restent strictement cantonné(e)s au rap par paresse... Bah comme toute action ou inaction motivée par la paresse: elle est mauvaise, vous vous privez de jolis moments de vie. Dans la même logique: si votre opposition à ce qui sort du rap relève de la fermeture d'esprit, il est temps d'évoluer et d'arrêter d'avoir une mentalité de collégien(ne). Je le dis quitte à paraître condescendant, parce que j'ai de bonnes raisons.
Enfin, écouter autre chose c'est parfois réussir à encore plus apprécier le rap. Parce qu'on reconnait un sample de funk ou de musique arabe, parce qu'on se réjouit d'entendre tel instrument dans un morceau, parce qu'on saisit des références, etcaetera. Et justement: ça offre un recul critique et permet aussi d'éviter cette tendance de certaines personnes à complètement s'extasier dès qu'un morceau de rap laisse apparaitre un élément courant dans d'autres genres musicaux, ou touche à d'autres genres, comme s'il s'agissait d'une révolution. Je pense à Damso et son saxophone, ou à la hype parfois très exagérée autour du dernier projet de Lil Yachty. De très jolis emprunts, il s'agit de bonne musique à mon sens, mais qui ne créent malgré tout rien d'aussi nouveau qu'on a pu le lire.
Dans tout ça, mon point, ce n'est pas de jouer au con hautain et louche qui sous-entendrait que le rap est un art inférieur. Évidemment. Puisque le discours que je tiens là, je peux le tenir avec les auditeurs et auditrices de tous les genres musicaux. Il consiste simplement à dire: quand la musique nous anime, nous touche plus que de raison, que l'on y est très sensible... Quel gâchis que de se limiter à un seul de ses genres! La comparaison est légèrement bancale mais a le mérite d'être clair: vous imaginez un(e) passionné(e) de cinéma, qui ne regarderait que des films d'action? Des comédies romantiques? Des films sociaux?
Pour moi, ça tombe sous le sens. Et je deviens de plus en plus fermé à ce sujet, justement parce que le rap s'ouvre et qu'il n'a jamais été aussi simple d'aller explorer ailleurs. Je ne parle pas aux ados en premier lieu: évidemment, que jeunesse se fasse avec ses obsessions. Mais arrivé(e) à la vingtaine, c'est une curiosité que l'on doit avoir à mon sens. Curiosité qui peut aussi déboucher sur peu: les albums de rock que j'ai écouté m'ont dans l'ensemble peu touché, de même pour la folk et d'autres genres. Mais ça me semble important d'au moins y consacrer le temps de la découverte, et ne pas s'y fermer pour l'avenir.
J'incite donc le plus grand nombre à être fier(e)s d'affirmer qu'ils et elles sont des auditeurs de rap avant tout, des passionné(e)s de ce genre multiple et sublime. Tout comme je les incite à ne pas avoir des réflexes de paresse ou de fermeture d'esprit, pas pour moi mais pour elles et eux. Parce qu'à la fin, je pense que s'être limité à regarder le rez-de-chaussée quand on nous présente un bâtiment majestueux, c'est juste: du gâchis.
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